Les nouvelles dispositions introduites par la Loi de Finances 2015, complétées par le décret n° 2.16.571 du 3 juillet 2017 publié récemment au Bulletin officiel, permettent de conclure un accord préalable aux opérations avec l’administration fiscale.
Les règles ainsi fixées dans un tel accord à propos de la méthode de détermination des prix des opérations entre les entités juridiques, seront de nature à sécuriser au mieux les impacts fiscaux.
Pris en exécution de l’article 234bis CGI, le décret fixe les modalités des accords préalables en matière de prix de transfert.
La Loi de Finances 2015 avait introduit un chapitre V au niveau du titre I du Livre II du Code Général des Impôts (CGI).
Ce chapitre V compte 2 articles qui traitent de la procédure d’accord préalable sur le prix de transfert.
Les deux articles – les articles 234bis et 234ter CGI -, stipulent qu’une entreprise de droit marocain qui a des liens de dépendance avec une entreprise étrangère peut conclure un accord avec l’administration fiscale marocaine au sujet de la détermination des prix, pour les opérations réalisées entre-elles.
La méthode de fixation de ces prix dans le cadre d’un tel accord augmente la sécurité fiscale dès lors que l’administration ne pourra plus la remettre en cause (article 234ter CGI).[1]
A défaut d’un accord sur ces prix de transfert, le fisc pourrait toujours reconsidérer les conditions des opérations intervenues entre la société de droit marocain et la société étrangère, nonobstant ce qui aurait été décidé par elles relativement à telle ou telle opération.
Dan ces cas, par la suite d’une intervention de l’administration, les résultats de la société marocaine pourraient être ajustés et subir un redressement fiscal en conséquence.
Le principe qui vaut en la matière est dit « principe de pleine concurrence ».
Il est énoncé à l’article 9.2 du Modèle de Convention fiscale de l’OCDE[2] qui stipule :
« Lorsque deux entreprises associées sont, dans leurs relations commerciales ou financières, liées par des conditions convenues ou imposées, qui diffèrent de celles qui seraient convenues entre des entreprises indépendantes, les bénéfices qui, sans ces conditions auraient été réalisés par l’une des entreprises, mais n’ont pu l’être en fait à cause de ces conditions, peuvent être inclus dans les bénéfices de cette entreprise et être imposées en conséquence».
Quelles sont les entreprises qui peuvent être concernées ?
Les entreprises concernées sont les entreprises « ayant directement ou indirectement des liens de dépendance ».
Exemple : une entreprise belge a créé une filiale de droit marocain et elle lui confie l’exécution d’une prestation de service pour son compte.
Le prix convenu en contrepartie de cette prestation de service est visé par les dispositions sur les prix de transfert. En effet, il est évident que les deux entités juridiques – maison mère et fille- sont des entreprises « ayant directement ou indirectement des liens de dépendance ».
L’exemple donné ci-dessus est sans discussion : par définition, la filiale est contrôlée par la société mère et, partant, les liens de dépendance existent au sens de la loi.
Pour aller plus loin et mieux appréhender la question des liens de dépendance, on peut se tourner vers l’OCDE qui a fixé des Principes en la matière.[3]
Suivant ceux-ci, une entreprise dite « associée » est une entreprise qui remplit les conditions précisées au niveau du modèle de convention fiscale, à savoir :
- si l’une des entreprises participe directement ou indirectement, à la direction, au contrôle ou au capital de l’autre ou,
- si les mêmes personnes participent directement ou indirectement, à la direction, au contrôle ou au capital des deux entreprises.
A titre d’illustration, on retiendra avec intérêt l’article 9 de la Convention entre le Maroc et la Belgique tendant à éviter les doubles impositions et à régler certaines autres questions en matière d’impôts sur le revenu.
Cet article 9 se lit comme suit.
« Entreprises interdépendantes
Lorsque :
1° Une entreprise d’un Etat contractant participe directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou au financement d’une entreprise de l’autre Etat contractant ou que ;
2° Les mêmes personnes participent directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou au financement d’une entreprise d’un Etat contractant et d’une entreprise de l’autre Etat contractant,
et que dans l’un et l’autre cas, les deux entreprises sont, dans leurs relations commerciales ou financières, liées par des conditions acceptées ou imposées, qui diffèrent de celles qui seraient convenues entre des entreprises indépendantes, les bénéfices qui, sans ces conditions, auraient été obtenus par l’une des entreprises mais n’ont pu l’être en fait à cause de ces conditions, peuvent être inclus dans les bénéfices de cette entreprise et imposés en conséquence ».
Pour ce qui concerne la France, on se réfèrera à l’article 11.2 de la convention fiscale entre le Maroc et la France qui dit que :
« (u)ne entreprise est considérée comme participant à la gestion ou au capital d’une autre entreprise, notamment lorsque la ou les mêmes personnes participent directement ou indirectement à la gestion ou au capital de chacune de ces deux entreprises ».
Sans aller trop loin dans les détails dans le contexte de cette note d’actualité, on s’arrêtera cependant ici un instant sur la notion des « opérations » entre l’entité marocaine et l’entité étrangère.
Quelles sont les opérations visées ?
L’article 234bis CGI renvoie à l’article 214-III CGI qui vise de manière générale « les opérations effectuées avec des entreprises situées hors du Maroc ».
Il s’agira donc de prendre en considération tous les échanges généralement quelconques.
Il convient de relever qu’il se peut que même que dans certaines circonstances, les relations entre les deux entités ne soient pas envisagées comme des transactions mais qui cependant, n’en constituent pas moins des transferts de valeurs. Il est ainsi possible qu’une assistance technique ait été prodiguée, que des synergies aient été créées ou qu’un savoir-faire ait été fourni par le détachement de personnel ou par d’autres moyens…
Les sociétés associées pourraient ne pas prendre en compte de tels éléments dans la détermination du prix d’autres opérations liées ; qu’ils n’aient pas été formalisés dans un contrat ou encore, qu’ils n’aient pas fait l’objet d’une écriture comptable.
Or, l’administration fiscale pourrait très bien, quant à elle, conclure à l’existence d’opérations à partir d’éléments concrets révélateurs du comportement des parties.
Exemple : la maison mère conclut des prestations de services avec une entreprise indépendante X. En fait, il s’avère que non seulement la maison mère bénéficie directement des prestations fournies par X mais qu’en outre la filiale en bénéficie aussi alors que seule la maison mère en supporte le coût sans le répercuter en aucune manière sur la filiale. Dans cet exemple, l’administration fiscale pourrait très bien considérer qu’il existe une transaction valorisable entre l’entreprise X et la filiale (transfert d’une valeur potentielle apportée par X à la filiale).
On le voit à travers les développements ci-dessus ; les entités juridiques qui entretiennent des liens de dépendance doivent être particulièrement attentives à tous les échanges qui peuvent exister entre elles.
Les nouvelles dispositions introduites par la Loi de Finances 2015, complétées par le décret n° 2.16.571 du 3 juillet 2017 publié récemment au Bulletin officiel, permettent de conclure un accord préalable aux opérations avec l’administration fiscale.
Les règles ainsi fixées dans un tel accord à propos de la méthode de détermination des prix des opérations entre les entités juridiques, seront de nature à sécuriser au mieux les impacts fiscaux.
Pris en exécution de l’article 234bis CGI, le décret fixe les modalités des accords préalables en matière de prix de transfert.
Ces modalités concernent le délai dans lequel la demande doit intervenir, son contenu, les pièces qui doivent l’accompagner, les éléments à mentionner dans l’accord et les éléments du rapport de suivi.
A noter qu’en vertu de l’article 2 du décret, préalablement au dépôt de sa demande, l’entreprise
peut tenir une réunion préliminaire avec l’administration fiscale pour examiner les conditions dans lesquelles l’accord pourra être conclu, notamment le type et la nature des informations nécessaires à l’analyse de la politique des prix de transfert, le calendrier prévisionnel des réunions ainsi que les questions relatives aux modalités de conclusion de l’accord.
La question se pose de savoir si un accord valablement pris pourrait être revu et amendé par la suite compte tenu par exemple, de modifications des paramètres pris en compte au moment de la conclusion de l’accord. L’article 6 du décret dit que l’accord doit préciser les cas de révision et d’annulation de l’accord. Les parties à l’accord (et spécialement le contribuable) seront bien avisées de prévoir dès sa conclusion les circonstances pouvant justifier une révision dudit accord.
Il est conseillé aux entreprises concernées de se faire assister par des professionnels avertis dans les démarches et la préparation du dossier en vue de l’obtention d’un accord en matière de prix de transfert et de surtout bien appréhender toutes les opérations que les entités associées peuvent entretenir entre-elles.
[1] Dans certaines circonstances, l’accord conclu pourrait être annulé par la suite avec effet rétroactif (en cas de présentation erronée des faits, non respect de la méthode convenue, manœuvres frauduleuses,…).
[2] Le Maroc est actuellement membre observateur du Comité de la gouvernance publique de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Le Maroc aurait introduit récemment une demande pour bénéficier d’un statut de pays associé, selon l’information publiée sur, notamment, http://www.financialafrik.com/2017/06/28/ocde-bientot-un-nouveau-statut-pour-le-maroc/#.WZMCt1VJZdg
[3] Voy. : OCDE (2017), Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales 2017, Editions OCDE, Paris. http://dx.doi.org/10.1787/tpg-2017-fr