Par arrêt du 21 décembre 2016, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) rejette le recours en annulation formé par le Front Polisario à l’encontre de la décision du Conseil de l’Union européenne de conclure l’accord de libéralisation avec le Royaume du Maroc.
Il s’agit en l’espèce de l’accord concernant les mesures de libéralisation réciproques en matière de produits agricoles, de produits agricoles transformés, de poissons et de produits de la pêche (ci-après l’«Accord»)(1).
Le 10 décembre 2015, sur requête du Front Polisario, le tribunal de la Cour avait annulé partiellement la décision 2012/497/UE du Conseil de l’Union européenne du 8 mars 2012 approuvant l’Accord conclu entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc au motif qu’il ne pouvait pas être appliqué «au Sahara»(2).
Sur le fond, le tribunal considérait que l’Union européenne n’avait pas examiné, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents afin de s’assurer que les points contenus dans l’Accord ne sont pas menés «au détriment de la population du territoire en question ni n’impliquent de violations de ses droits fondamentaux (…)» (point 228 de l’arrêt du tribunal).
Le Conseil de l’Union européenne a formé un pourvoi le 19 février 2016 devant la Cour. La Belgique, l’Allemagne, l’Espagne, la France et le Portugal, ont été admis parties intervenantes pour soutenir le pourvoi. La Confédération marocaine de l’agriculture et du développement rural (Comader) a également été admise à intervenir dans l’affaire(3).
La CJUE vient donc de se prononcer en jugeant le recours du Front Polisario irrecevable. A notre connaissance, il s’agit de la première décision définitive rendue sur le sujet du Sahara par une Cour de justice saisie au contentieux.
Pour rappel, c’est dans un cadre d’un avis consultatif que la Cour internationale de justice s’était déjà prononcée, c’est-à-dire sans effet contraignant, et non pas en vertu de sa compétence contentieuse(4). Compte tenu de l’évolution du contexte, on peut poser aujourd’hui la question de la pertinence de cet avis.
L’arrêt du 21 décembre 2016 de la Cour de justice de l’Union européenne, outre son caractère contraignant qui rejette la demande du Front Polisario, revêt par ailleurs une grande importance sur un plan juridique et ce, relativement à trois questions majeures: le statut international du territoire, la capacité d’ester en justice du Front Polisario et l’intérêt à agir de ce dernier.
Concernant le statut du territoire, comme l’a souligné l’avocat général Melchior Wathelet dans ses conclusions le 13 septembre 2016, le cœur du problème est «l’application ou non de l’Accord de libéralisation au Sahara». Une jurisprudence européenne enseigne que l’Union européenne doit prendre des égards particuliers vis-à-vis de ses partenaires à un accord et à l’occasion de l’interprétation et de l’application de celui-ci(5). Incontestablement, le Royaume du Maroc est un partenaire majeur de l’Union européenne, non seulement au regard de l’Accord, objet du contentieux ici commenté, mais bien au-delà.
L’UE et le Maroc sont ainsi liés par un accord d’association très large: le Royaume du Maroc est plus qu’un simple partenaire de l’UE. Les parties associées ne font d’ailleurs que «renforcer» leurs liens au fil du temps.
Cela justifierait donc à nos yeux que des égards particuliers soient considérés par la partie européenne à propos de la position de son partenaire-associé marocain sur la question du Sahara. Lorsque l’avocat général soutient dans ses conclusions que l’UE ne doit pas «accepter n’importe quelle vision de son partenaire sur l’interprétation et l’application de l’accord d’association, surtout lorsque son partenaire défend des positions que la communauté internationale et l’Union n’ont jamais acceptées», il ne semble pas tenir compte suffisamment des égards dus au Royaume du Maroc.
En effet, d’une part il ne s’agit pas de «n’importe quelle vision». Au contraire, au-delà même de cette affaire, la vision défendue par le Royaume du Maroc est soutenue aujourd’hui par de très nombreux pays, dont la France(6). De plus, dans le cas d’espèce, on l’a vu ci-dessus, plusieurs Etats membres se sont portés parties intervenantes devant la Cour pour soutenir le pourvoi du Conseil de l’Union européenne.
D’autre part et en conséquence, ne conviendrait-il pas de poser la question sous l’angle du principe de l’exécution de bonne foi de l’Accord?
La Cour a déjà souligné que selon les règles générales du droit international, tout accord doit être exécuté de bonne foi par les parties(7). Depuis l’entrée en vigueur en mars 2000 de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part, l’UE (ni personne) n’a jamais exprimé une quelconque réserve relativement à son champ d’application. Il existe une pratique suivie dans l’application de cet accord conforme à la position marocaine sur le Sahara marocain.
Sur ce point majeur, la Cour ne se prononce pas directement sur le statut du territoire; elle se prononce par rapport au champ d’application de l’Accord. Entre autres considérants, la Cour se réfère en effet au principe d’exécution des traités de bonne foi et elle dit: «il s’ensuit que le tribunal a également commis une erreur de droit en considérant que la pratique ultérieure évoquée aux points 99 et 102 de l’arrêt attaqué justifiait d’interpréter lesdits accords en ce sens qu’ils s’appliquaient juridiquement au territoire du Sahara. Le tribunal ayant donc jugé à tort que l’accord de libéralisation devait être interprété en ce sens qu’il s’appliquait juridiquement au territoire du Sahara (…)» (points 125 et 126 de l’arrêt).
Les erreurs de l’avocat général
Le Front Polisario n’a pas d’existence en droit (absence de personnalité juridique) et aucun texte régissant la procédure devant la Cour ne permet de reconnaître une partie dépourvue de personnalité juridique.
Le Front Polisario n’est pas partie à l’Accord conclu entre l’UE et le Maroc. C’est donc sans aucun fondement légal que le tribunal et l’avocat général retiennent une capacité à agir du Front «en tant que représentant du peuple du Sahara reconnu par l’ONU, à protéger les droits que celui-ci tire du droit international, à savoir son droit à l’autodétermination et à sa souveraineté permanente sur les ressources naturelles du Sahara» (point 139 des conclusions de l’avocat général).
L’article 263 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne stipule en son alinéa 4: «Toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution». Ce texte devrait conduire à ne pas reconnaître la capacité à agir dans le chef du Front Polisario, à défaut de personnalité juridique. Par rapport à l’intérêt à agir du Front Polisario, ce dernier considère que l’application de l’Accord est contraire au droit à l’autodétermination des Sahraouis, au principe de souveraineté permanente sur les ressources naturelles et à l’article 73 de la Charte des Nations unies. La première question à se poser à cet égard est de savoir si l’application de l’Accord produit directement et individuellement des effets sur la situation juridique du Front Polisario (revoir l’article 263, al.4 Traité de fonctionnement de l’Union européenne ci-dessus).
Premièrement, il ne peut pas être question d’effet sur la situation juridique d’une personne dépourvue elle-même de personnalité juridique.
Ensuite, l’avocat général a conclu, contrairement à la décision du tribunal, que l’Accord n’affecte pas directement le Front Polisario (point 194 des conclusions de l’avocat général).
Sur ces questions, sans réellement se prononcer sur la capacité à agir à défaut de personnalité juridique, la Cour considère que «le Front Polisario ne peut en tout état de cause pas être regardé, compte tenu des arguments qu’il invoque, comme ayant qualité pour agir en annulation de la décision attaquée» (point 133 de l’arrêt).