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Agrément et transmission universelle du patrimoine

Clause d’agrément et transmission universelle du patrimoine par voie de fusion : le choc des principes

« Toute cession ou tout transfert de propriété d’actions à un tiers à quelque titre que ce soit, par quelque moyen que ce soit, est conditionné au préalable par l’autorisation du conseil d’administration de la société ».

Aux termes de l’article 253 de la loi 17-95, les statuts d’une société anonyme peuvent soumettre toute cession d’actions à un tiers, à quelque titre que ce soit, à l’agrément de la société par une clause statutaire. Avec une précision : elle ne peut jouer en cas de succession ou de cession soit à un conjoint soit un ascendant ou à un descendant jusqu’au deuxième degré inclus.

Une telle stipulation dans les statuts de la société suppose l’application d’un régime légal prévoyant une procédure spécifique d’agrément du cessionnaire. Cette procédure est réglementée par les articles 253 et suivants de la loi n° 17-95, laquelle aboutit soit à l’agrément du cessionnaire ou au refus de son entrée au sein de la société avec, le cas échéant, l’obligation pour les dirigeants de faire racheter les actions du cédant, soit par un actionnaire soit par un tiers soit, avec le consentement du cédant, par la société elle-même, en vue d’une réduction du capital.

Qu’en est-il lorsque les titres sociaux soumis à la procédure d’agrément font partie du patrimoine d’une société absorbée dans le cadre d’une opération de fusion ? Dans cette hypothèse, la société absorbante doit-elle se soumettre à cette procédure ou est-elle substituée de plein droit à la société absorbée ?

L’applicabilité du régime des clauses d’agrément dans le cadre d’une opération de fusion-absorption

La jurisprudence nous apporte un éclairage paradoxal sur ces questions. En effet, dans un arrêt du 30 août 2012 (Cass. com., 1re sect., n° 770, 30 août 2012, aff. n° 933/3/1/2011), la Chambre commerciale de la Cour de cassation a déclaré applicable le régime des clauses d’agrément dans le cadre d’une opération de fusion-absorption.

En l’espèce, une opération de fusion a été réalisée entre deux sociétés françaises entraînant la transmission universelle du patrimoine de l’absorbée B à l’absorbante A, dont une participation que la première détenait dans le capital d’une société marocaine tierce, C. Or, les statuts de la société C contenaient une clause subordonnant toute cession des titres sociaux à des tiers non actionnaires, à l’obtention préalable de l’agrément du conseil d’administration. Ce dernier n’ayant pas agréé la société absorbante, il refusa de procéder au transfert sur les registres sociaux des titres résultant de la fusion.

En première instance, les juges ont considéré que la clause stipulée dans les statuts de la société C ne visant que l’hypothèse de la cession à une personne étrangère à la société, elle ne saurait être appliquée au transfert des titres par voie de fusion-absorption dont le  mécanisme est différent de la cession ; lequel transfert s’opère de plein droit selon le principe de la transmission universelle du patrimoine prévu à l’article 224 de la loi 17-95 et que, par conséquent, la qualité d’actionnaire de la société A au sein de la société C lui était acquise également de plein droit.

La cour d’appel de Casablanca (CA com. Casablanca, n° 867, 23 févr. 2010, aff. n° 3402/2009/12) en a jugé autrement, considérant que tout moyen de transfert de propriété des titres à un tiers, à quelque titre que ce soit, sous forme de cession ou par transmission à la suite d’une fusion, suppose l’autorisation préalable du conseil d’administration. Interprétation qui a été, au demeurant, approuvée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation puisqu’elle a confirmé le principe de l’applicabilité, envers la société absorbante, de la clause d’agrément contenue dans les statuts d’une société tierce dans laquelle la société absorbée détenait une participation.

En effet, la Chambre commerciale a retenu que le transfert de propriété des titres par fusion soumettait l’opération aux dispositions de l’article 253 et suivants de la loi n° 17-95 réglementant la cession de titres selon lesquelles une clause statutaire peut conditionner toute cession d’actions à un tiers à quelque titre que ce soit, par l’obtention de l’agrément de la société (l’article 253, modifié par l’article 1er de la loi n° 20-05 promulguée par le Dahir n° 1-08-18 du 17 Joumada I 1429 (23 mai 2008), dispose que : « Sauf en cas de succession ou de cession soit à un conjoint soit à un ascendant ou à un descendant jusqu’au 2e degré inclus, la cession d’actions à un tiers à quelque titre que ce soit peut être soumise à l’agrément de la société par une clause des statuts. Une telle clause ne peut être stipulée que si les actions revêtent exclusivement la forme nominative en vertu de la loi ou des statuts »). La solution se fonde clairement sur une interprétation a contrario de l’article 253 de la loi 17-95 qui prohibe les clauses d’agrément sauf « en cas de succession ou de cession soit à un conjoint soit à un ascendant ou à un descendant jusqu’au 2e degré inclus ».

Ainsi, la Chambre commerciale a estimé que les associés, par la clause statutaire ont entendu soumettre à l’agrément toute forme de transfert des titres et que, par conséquent, la transmission des actions à une personne étrangère à la société à la suite d’une fusion n’exonère pas la société absorbante du respect de la procédure d’agrément. Plus encore, l’arrêt nous renseigne sur le sort d’une cession réalisée en violation de la clause d’agrément puisqu’elle affirme que sa méconnaissance rend nulle la réalisation de toute cession, transfert ou transmission des titres et ce, même en cas de fusion.

Une solution discutable et source d’insécurité juridique

Sur le terrain du choc des principes, l’appréciation de la Cour de cassation prête à discussion. Le principe de la transmission universelle du patrimoine est passablement mis à mal par la solution adoptée. Ne peut-on pas y voir un affront évident de la liberté contractuelle à ce principe ? D’aucuns ne pourraient répondre par la négative à cette question. Certes, la transmission universelle du patrimoine demeure une fiction juridique entérinée par la loi, laquelle prévoit, d’ailleurs, que la portée de son application ne saurait préjudicier aux tiers. Il n’en demeure pas moins que ce principe essentiel à la réussite des opérations de fusion est vidé de sa substance par cette solution jurisprudentielle.

Par ailleurs, la procédure d’agrément statutaire permise dans les sociétés anonymes ne peut concerner que des tiers étrangers à la société et la loi sur les sociétés anonymes prévoit à l’article 224 que la fusion entraîne la transmission de plein droit de l’ensemble du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante. Dès lors, étant donné ce rapport établi entre les parties à la fusion, peut-on réellement considérer la société absorbante comme une personne tout à fait étrangère à la société tierce ? N’y a-t-il pas ici encore une atteinte évidente au principe de la transmission universelle du patrimoine ?

En l’espèce, les statuts de la société marocaine C prévoyaient, en application de la loi, que « la cession des titres de la société à un tiers est soumise au droit d’agrément ». Il est vrai que la clause ainsi stipulée n’est pas très explicite. Sans doute cette absence de précision a permis aux juges de ne pas établir de distinction entre une opération de cession et la transmission opérée par voie de fusion, rendant ainsi l’agrément obligatoire quel que soit le mode de transfert de propriété des titres.

Cela étant et quand bien même la Cour de cassation aurait pour objectif la protection des tiers et de leurs droits, considérant que la fiction juridique établie par la transmission universelle du patrimoine ne saurait leur porter atteinte, la décision n’emporte pas entière adhésion sur le plan des principes et moins encore au regard de ses conséquences.

En effet, en confirmant le principe de l’applicabilité de la clause d’agrément aux opérations de fusions et scissions, la Cour de cassation a, en outre, affirmé que la violation d’une telle clause entraîne la nullité de toute cession ou transfert de titres effectué par quelque moyen que ce soit. Or, aucune disposition parmi celles régissant la société anonyme ne prévoit expressément la nullité en cas de violation d’une clause d’agrément statutaire dans ce type de société (seul l’article 429 de la loi n° 17-95 prévoit expressément la nullité de toute cession réalisée en violation d’une clause d’agrément prévue par les statuts d’une société anonyme simplifiée). Le régime des nullités en droit des sociétés est prévu aux articles 337 et 338 de la loi 17-95 (aux termes de l’article 338 de la loi n° 17-95 : « La nullité d’une société ou celle d’actes ou délibérations modifiant les statuts, ne peut résulter que d’une disposition expresse de la présente loi, du caractère illicite ou contraire à l’ordre public de l’objet de la société ou de l’incapacité de tous les fondateurs. Toute clause statutaire contraire à une disposition impérative de la présente, dont la violation n’est pas sanctionnée par la nullité, est réputée non écrite. » ; L’article 338 dispose que « la nullité d’actes ou délibérations autres que ceux prévus à l’article 337 précédent ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative de la présente loi, ou de l’une des causes de nullité des contrats en général »). C’est un régime restrictif prévoyant que la nullité d’actes ou délibérations non modificatives des statuts ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative de la loi susmentionnée.

Pourtant, il est difficile de voir dans la simple faculté offerte par le législateur à la société de prévoir dans ses statuts une clause d’agrément de tout tiers non actionnaire, une disposition impérative qui justifierait de sanctionner par la nullité toute cession réalisée en violation d’une telle clause.

Par ailleurs, il est permis de s’interroger sur la complexité des effets en cas d’absence de demande d’agrément ou de refus de l’agrément. La loi ayant prévu les causes de nullité de la fusion à l’article 344 de la loi n° 17-95 (aux termes de l’article 344 de la loi n° 17-95 « La nullité d’une opération de fusion ou de scission ne peut résulter que de la nullité de la délibération de l’une des assemblées qui ont décidé l’opération »), le défaut de demande préalable d’agrément ne peut avoir pour conséquence la nullité de l’opération réalisée. Dans les cessions de droits sociaux, le prononcé de cette sanction emporte le retour rétroactif des titres dans le patrimoine du cédant. Or, cette solution est inenvisageable en cas de fusion ou de scission puisqu’il résulte de ces opérations la disparition du cédant.

De ce fait, la décision des juges de première instance paraît, à notre sens, plus proche des impératifs des affaires car plus respectueuse et protectrice du principe de la transmission universelle du patrimoine, lequel est fondamental en droit des fusions-acquisitions. En fin de compte, la position de la Cour de cassation laisse un très large pouvoir aux juges du fond pour l’interprétation et l’application du régime des clauses d’agrément, solution qui ne va pas dans le sens de la sécurité juridique.

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